Geostratégie, Sécurité et Défense

IMG-LOGO
Accueil L'Iran et les enjeux géostratégiques au XXIe siècle
Monde

L'Iran et les enjeux géostratégiques au XXIe siècle

par Abdoul KH.D. Dieng - 09 May 2024 -
IMG

Rappel : l’Iran au milieu du XXe siècle



Dès le lendemain de la victoire du communisme en Russie tsariste, l’Iran et la Turquie ont été des pays clés de la région dans les stratégies du XXe siècle. L’Angleterre, principal vainqueur de la Première Guerre mondiale, a tenté d’utiliser ces deux pays pour entourer d’une muraille de fer l’Union soviétique. L’instauration du régime d’Atatürk en Turquie et du fondateur de la dynastie Pahlavi en Iran faisait partie de ce plan. La Turquie contrôlait le passage de la mer Noire vers l’Europe de l’Est, tandis que l’Iran longeait toutes les frontières sud du territoire asiatique de la Russie, ayant également à sa portée l’Irak, la Syrie, le golfe Persique ainsi que toute l’Arabie jusqu’au canal de Suez et la péninsule indienne. Lors de la Seconde Guerre mondiale, grâce à sa situation stratégique, l’Iran fut surnommé le « pont de la victoire ». Le pétrole iranien aida davantage les alliés que lors de la Première Guerre mondiale.


Après la Seconde Guerre mondiale, l’Iran conserva le même rôle stratégique. L’Est et l’Ouest rivalisaient pour attirer l’Iran dans leurs camps respectifs, mais ce dernier était davantage attiré par l’Occident. Les États-Unis étaient en compétition avec la Grande-Bretagne pour avoir la primauté sur l’Iran, et ce genre de discordance a permis aux Iraniens de s’organiser en vue de consolider la démocratie et de freiner la présence coloniale de la Grande-Bretagne. En 1951, la lutte des Iraniens se cristallisa dans le mouvement pour la nationalisation du pétrole et le pays réussit à empêcher la reconduction de la concession des ressources pétrolières et à mettre un terme à la mainmise de la compagnie British Petroleum sur ses réserves d’hydrocarbures. Il obtint, pour cela, la bénédiction des organisations internationales.


Le reflet mondial de cette lutte, ainsi que la résistance farouche pendant plusieurs années comme le combat contre les privations et les blocus des puissances mondiales jusqu’à la victoire ont érigé l’Iran comme symbole et guide pour les combattants anticoloniaux et antidictatoriaux du Moyen-Orient. Cependant, les États-Unis et l’Angleterre, avec la complicité des éléments iraniens qui leur étaient inféodés, ont réussi, à travers un coup d’État, à renverser le gouvernement national et à rendre le pouvoir aux anciens dirigeants, neutralisant du même coup le rôle anticolonial du mouvement.


Les États-Unis, qui, depuis septembre 1941, avaient un pied-à-terre en Iran, ont ravi la première place qu’occupait auparavant la Grande-Bretagne dans ce pays. Le nouveau régime, effrayé par la vague révolutionnaire créée dans la région par les luttes anticoloniales en Iran, adhéra rapidement au pacte militaire régional du CENTO (« Pacte de Bagdad ») mis en place en 1955 à l’initiative des États-Unis et de la Grande-Bretagne, pacte qui englobait la Grande-Bretagne, l’Iran, le Pakistan et la Turquie sous l’égide des États-Unis. Or, les révolutions anticoloniales survenues en Égypte et en Irak, dans un laps de temps relativement court, étaient les signes d’un séisme qui faisait trembler la région à la suite de la répression du mouvement national en Iran. Ce climat régional poussait de plus en plus le pouvoir iranien vers une plus grande dépendance politique et militaire à l’égard des États-Unis. En 1960, à Ankara, un accord secret fut signé entre les États-Unis et l’Iran qui plaçait ce dernier sous la protection du parapluie défensif américain. Si, à cette époque, l’Iran n’envoya pas de troupes au Vietnam à l’instar de la Turquie, très rapidement il eut la responsabilité d’assurer la sécurité du secteur du golfe Persique et de sa navigation jusqu’au canal de Suez. L’aide aux pays riverains du golfe Persique ne se limitait pas au domaine médical. Les militaires anglais au sud d’Oman furent remplacés par des rangers iraniens afin de réprimer le mouvement insurrectionnel de cet émirat. Cette coopération fut telle que la presse américaine qualifia l’Iran de « gendarme du golfe Persique ».


Conformément à cette solidarité, le Pentagone avait une présence active au sein de l’armée iranienne par l’intermédiaire des « conseillers militaires » qui avaient pour mission d’assurer la formation et d’équiper cette armée. Parallèle - ment aux liens grandissants entre les deux pays, Israël initia également ses activités en Iran, d’abord secrètement puis quelques années plus tard, suite à sa reconnaissance de facto, de manière beaucoup plus étendue. Ces activités se poursuivirent jusqu’à la révolution de 1978, et dans le cadre de la stratégie d’un monde bipolaire. Pendant la préparation de la révolution en Iran, les dirigeants occidentaux, à l’initiative des États-Unis, ont mis sérieusement en garde Moscou afin qu’il n’intervienne pas dans les événements qui allaient toucher l’Iran. Et ce fut pour soutenir la politique annoncée de Washington que, face au discrédit des régimes dictatoriaux soutenus par l’Occident, on lançait le slogan du « soutien à la Charte des droits de l’homme » en croyant ainsi écarter l’intervention du bloc de l’Est, alors que la demande de l’application des droits de l’homme aboutirait simplement à des substitutions au niveau des États. En Iran, jusqu’au « transfert du pouvoir » (la chute du shah), ce concept traduit en politique accompagnait pas à pas les deux parties sans prévoir le bourbier qui allait se produire dans les conditions révolutionnaires entre « la théorie et la pratique.


La Révolution iranienne


La révolution eut donc lieu. Elle commence en fait en 1978. Les intellectuels, en conformité avec les tendances religieuses et nationales, se sont placés à sa tête et la mobilisation révolutionnaire a battu son plein. Mais l’ombre du fondamentalisme s’étendit sur le mouvement. Car ce que les Américains entendaient par mouvement religieux était un mouvement qui, grâce à la foi, peut répondre à l’idéologie de la partie adverse, mais cela sans avoir une idée exacte de l’intégrisme. Avant leur guerre en Afghanistan, les Américains auraient dû se procurer cette connaissance en Iran. Or, tant qu’en Iran la révolution (dite khomeyniste » en Occident) décimait les combattants non religieux, les Américains ne s’en souciaient guère. L’occupation de l’ambassade des États-Unis à Téhéran, imitation réussie de ce qu’avaient tenté en 1978 les guérilleros fedayin (d’extrême gauche) pendant les premières semaines de la révolution, aurait dû amener les Américains à réfléchir. Ils auraient pu prévoir la dangerosité de l’arme religieuse qu’ils avaient choisie pour combattre l’Armée rouge entrée quelques mois plus tard en Afghanistan.


Après la révolution, l’Iran devint un phénomène nouveau marqué par le slogan « ni l’Est, ni l’Ouest – la République islamique ». Les foudres de l’Iran visaient les États-Unis. Comme lors du mouvement pour la nationalisation du pétrole en 1951, la révolution iranienne fit trembler la région. Les États et les gouvernements régionaux, privés d’assises populaires, attendaient les États-Unis pour trouver une solution. Les États-Unis planifièrent en 1980 l’agression de l’Irak contre l’Iran, et l’Irak bénéficia du soutien financier et militaire de ses voisins arabes. La guerre dura pendant huit ans, détruisant les réserves financières et militaires de la région. En réaction, malgré la destruction des villes, les pertes humaines et les dommages subis par les deux pays, le régime religieux se renforça. Dans les conditions où le monde avait accepté le système d’un pôle unique, le régime iranien poursuivit une politique indépendante à l’égard des puissances et lança le slogan « Mort à l’Amérique », brandissant dans la région l’étendard de la lutte contre l’État d’Israël. Le régime fit face aux blocus économiques et industriels des États-Unis, tandis que, dans les nouvelles conditions mondiales et la levée du Rideau de fer sur l’Asie centrale, l’importance géopolitique de l’Iran connaissait un nouvel élan.


Les nouvelles conditions propulsèrent le rôle unique de l’Iran en tant que lien entre ses pays frontaliers du Nord et les marchés du Moyen-Orient, de l’océan Indien et des eaux libres tout en étant le chemin le plus court pour relier par pipelines les importants gisements de gaz et de pétrole de la mer Caspienne à l’Europe, aux régions de l’océan Indien et de l’océan Pacifique. Cependant, dans leur opposition à l’Iran, les États-Unis imposèrent de forts investissements aux compagnies pétrolières afin de dévier ces pipelines en provenance des gisements de gaz et du pétrole de la mer Caspienne.


La présence de l’Iran, en tant qu’associé commercial fiable parmi ses voisins asiatiques et servant de pont de liaison, rappelle la route de la soie. Après vingt-huit ans de guerre froide contre l’Iran, les États-Unis font tout ce qui est en leur pouvoir afin d’empêcher l’épanouissement naturel de sa position géostratégique dans la région et tentent de l’isoler. Or, la position stratégique privilégiée de l’Iran entre la mer Caspienne et le golfe Persique ne pourrait qu’obliger les dirigeants américains à réviser leur politique d’animosité à l’égard de l’Iran et à surmonter l’esprit de domination qui domine la diplomatie de Washington.


C’est pour faire face à cette politique que l’Iran tente, par le biais de la priorité accordée à sa politique asiatique, de surpasser les obstacles érigés par les États-Unis. C’est ainsi qu’il a réussi, avec lenteur et difficulté, grâce à ses avantages naturels, à faire approuver et mettre en œuvre le projet de construction d’un gazoduc entre l’Iran, le Pakistan et l’Inde.


La politique de « balkanisation » de l’Iran, qui occupe depuis un certain temps l’esprit des stratèges occidentaux, n’a pas plus de chance de réussite sans créer des situations dangereuses, compte tenu des voisins de l’Iran. Dans les conditions actuelles du monde, l’Iran est le symbole de la nécessité de la reconnaissance de l’indépendance, de la souveraineté nationale et des droits de l’homme dans des régions où les puissances militaires et économiques se considèrent vainement comme étant sous leur tutelle.


En effet, une nouvelle fois au XXIe siècle, la question nationale est devenue, compte tenu de la politique du tutorat, la principale contradiction face à la stratégie de « la concurrence libre, au sein de l’OMC ».


L’Iran et les impasses du Grand Moyen-Orient


Une nouvelle fois, le Grand Moyen-Orient (selon l’interprétation des États-Unis) s’est trouvé au summum de la crise, avec l’Iran comme point culminant. Cette crise continue à puiser sa source dans la politique suivie par les néoconservateurs de Washington. Naturellement, ils ont mis en œuvre un projet préalablement établi, mais l’imprudence de l’administration de George W. Bush a renforcé et aggravé la crise latente dans la région. Il faut signaler qu’après la monopolisation du pouvoir mondial par les États-Unis, ces derniers ont poursuivi la stratégie de confrontation de la religion et de l’idéologie. Cette stratégie a joué un rôle fondamental dans l’affrontement entre les deux blocs. Cependant, les États-Unis n’avaient pas mesuré son impact au niveau mondial. Il en est ainsi des coups portés par Al-Qaïda et les talibans à la politique de défense des États-Unis, restée une des préoccupations majeures de la politique internationale de Washington.


Aujourd’hui, chaque partie du Grand Moyen-Orient, dans la lutte contre la volonté des États-Unis et des grandes puissances occidentales, risque de devenir la proie des flammes. Des volcans éteints risquent même de se réveiller : le Pakistan est en proie à l’embrasement; en Afghanistan, l’armée américaine épaulée par les forces de l’OTAN semble impuissante à empêcher les talibans de reconquérir le pouvoir. En Irak, outre les actions de guérilla quotidiennes, la mise en place du projet de « gouvernement fédéral », poursuivi par les États-Unis, a placé ce pays en proie à une guerre entre quatre pays voisins. Et cela malgré le fait que le destin du gouvernement irakien est lié à celui de l’Iran.


Map of Iran


Le peuple palestinien, victime et otage des États-Unis depuis un demi-siècle, est conduit vers une consultation nouvelle et sans espoir. Avec l’aide de quelques pays arabes, Washington lui inflige une nouvelle opération chirurgicale. La crise au Liban, suite aux pressions américaines, risque de repartir une nouvelle fois. Les événements au Liban auront des conséquences directes sur le destin de la Syrie qui subit également les attaques d’Israël sans oublier manifestement la question kurde. Et tout ceci vient s’ajouter aux problèmes sociaux des autres pays arabes qui seront à l’origine, tôt ou tard, d’insécurités dans la région et qui s’étendront jusqu’en Afrique.


Les séismes qui secouent l’Iran depuis la révolution de 1979 continuent à provoquer les inquiétudes internationales et, dans le contexte actuel, ont atteint un seuil d’explosion. La prise d’otages de l’ambassade des États-Unis à Téhéran, bien qu’elle ait provoqué la colère des États-Unis et de l’Occident contre l’Iran, a permis au régime islamique d’avoir les mains libres pour réprimer les opposants et consolider les fondements du régime issu de la révolution. Les représailles américaines, à travers le blocus économique, la mobilisation des pays voisins de l’Iran dans le golfe Persique et l’incitation de l’Irak à agresser l’Iran en lui imposant une guerre de huit ans, tout en provoquant des fanatismes ethniques et religieux qui ont renforcé le régime islamique au détriment du peuple iranien. Progressivement, le régime islamique d’Iran a étendu ses toiles dans l’ensemble des territoires où agissaient les États-Unis et l’Occident.


Actuellement l’Iran a, sans exagération, une présence active en Irak, au Liban et en Afghanistan, ce qui a permis aux puissances occidentales d’invoquer le danger militaire et politique grandissant de l’Iran afin de poursuivre les ventes d’armes pour des milliards de dollars au bénéfice de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes dans le golfe Persique. Le principal point faible de l’Iran face aux Occidentaux, qui diabolisent le danger iranien dans la région, est le caractère religieux de son gouvernement. Celui-ci puise ses sources dans l’histoire ancienne de l’islam, ce qui ne peut être masqué par les théocrates dominants, car il constitue leur principal instrument de pouvoir. Néanmoins, les menaces, pas seulement oratoires, du régime islamique contre l’État d’Israël sont un des facteurs de la détérioration des relations entre l’Iran et les États-Unis.


Avant la révolution de 1979, Israël avait des relations étroites avec le régime du shah et apportait son concours à l’« organisation de la sécurité ». Après la victoire de la Révolution, la première décision du gouvernement fut le transfert de l’ambassade d’Israël aux Palestiniens. L’Iran devança même les Palestiniens dans leur animosité contre Israël. De son côté, l’État hébreu devint une base de propagande et d’actions politiques contre la République islamique, au moment même où les pays arabes, sous la pression des États-Unis, reconnaissaient l’un après l’autre l’État d’Israël. La présence d’Israël dans l’entourage de l’Iran devenait de plus en plus palpable et menaçante. Des relations militaires furent alors établies entre la Turquie et Israël. Tel-Aviv joue le rôle principal dans la propagande politique contre le régime islamique d’Iran aux États-Unis et dans les médias occidentaux.


Dans le combat qu’ils mènent contre l’Iran, au cours des dernières années, les États-Unis ont concentré leur pression sur les efforts déployés par l’Iran afin d’accéder à la science et à la technologie nucléaires. Depuis quelques années, les États-Unis évoquent clairement la possibilité d’une attaque militaire contre les centres d’études nucléaires de l’Iran, et ont présenté l’affaire devant le Conseil de sécurité. Ce dernier, à travers plusieurs résolutions, a décidé un blocus mondial contre l’Iran. Dans ce domaine, en qualité d’allié des États-Unis, Israël joue un rôle actif. Régulièrement, le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Défense de ce pays, parallèlement aux relations commerciales avec l’Europe, la Russie et la Chine, se rendent dans ces pays pour les convaincre du danger de la « menace nucléaire » de l’Iran. Ils ne cachent pas, à travers leurs propagandes, que leur objectif est d’attaquer les installations nucléaires iraniennes : ils seront du côté des États-Unis.


Cependant, le gouvernement iranien, insistant sur la poursuite de ses activités nucléaires qu’il a toujours qualifiées de pacifiques et sans objectif militaire, profite de la propagande américaine et des menaces israéliennes dans le domaine de sa politique intérieure, comme il l’avait fait lors de la guerre de huit ans contre l’Irak. Qui a raison dans la question de la « bombe nucléaire iranienne »? Cela demande réflexion. La non-prolifération des armes nucléaires et la création d’une agence internationale chargée de les contrôler remontent à l’époque de la guerre froide lorsque les chefs des deux pôles belligérants se sont accordés pour limiter le cercle des pays détenteurs de l’armement nucléaire. L’ONU créa l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), chargée de promouvoir la non-prolifération des armes nucléaires. La création de cette agence répondait aux exigences mondiales de l’époque. Or, quelques années plus tard, l’agence devint un instrument au service des pays développés qui tentaient de garder le monopole de la science et de la technologie nucléaires. Entre-temps, la Chine et plus tard l’Inde devinrent membres du club des pays du Seuil (détenteurs des armes et de la technologie nucléaires). Au Moyen-Orient, le premier pays qui eut accès à l’arme nucléaire, fut Israël qui avait bénéficié des aides américaines. Le Pakistan, en conflit avec l’Inde depuis sa création, lança ses tentatives avec Zolfaghar Ali Bhutto, malgré l’opposition américaine. Il avait franchi les premiers pas dans ce sens et perdit la vie suite au coup d’État du général Zia al-Hagh. Cependant, malgré l’opposition des Nations unies, le Pakistan eut accès à l’arme nucléaire et se fraya un chemin pour s’inscrire dans le « Club des nucléaires » sans pour autant s’attirer les foudres du monde. Les installations en voie de construction en Irak par les Français ont été détruites par l’aviation israélienne au début de la guerre menée par Saddam Hussein contre l’Iran, sans que cela ne provoque de réaction mondiale.


Stratégie et diplomatie du nucléaire au Moyen-Orient


L’AIEA avait et a toujours le devoir d’aider et de coopérer avec les Étatsmembres dans le cadre de leurs programmes nucléaires. L’Iran est un des membres de cette agence. Compte tenu de la sensibilité du Moyen-Orient, du conflit entre Israël et les Arabes et du passage du pétrole par le golfe Persique, il était naturel que les pays de cette région tentent de surpasser les obstacles et de se doter du savoir-faire nucléaire. Abdul Qadeer Khan, le père de la bombe atomique du Pakistan, a été clandestinement le messie de l’Iran, de la Libye et de la Corée du Nord. Il est difficile de croire que le gouvernement pakistanais a ignoré ce commerce extrêmement lucratif.


Il est difficilement admissible de croire que l’arme atomique en Israël est au service de la paix et en Iran au service de la guerre. Si l’arme nucléaire est prohibée, il faut qu’elle le soit aussi bien pour l’Iran que pour Israël. Le moyen rationnel pour contrer le danger de la bombe atomique de l’Iran consiste à interdire l’arme nucléaire dans toute la région du Moyen-Orient. Cependant, Israël utilise cette arme comme une épée de Damoclès contre ses voisins – chacun ressent la menace de ce petit pays. Par ailleurs, depuis plusieurs années, la technologie nucléaire a atteint un stade qui doit se présenter sur les marchés internationaux et on ne peut plus la limiter.


Cependant, le régime islamique d’Iran, en tant que régime théocratique, est en mauvaise position pour convaincre autrui en affirmant qu’il cherche la technologie nucléaire exclusivement pour des objectifs pacifiques. Ce régime tente de surmonter la discrimination établie par les puissances mondiales avec les autres pays en instituant la non-prolifération nucléaire. Les politiques poursuivies par le régime à l’intérieur de l’Iran, marquées par une plus grande pression sur les différentes couches de la société, les discriminations entre les hommes et les femmes, entre les religions et les ethnies, entre les amis et les autres quant aux droits sociaux, ne laissent plus place à une confiance internationale envers ce régime.


Il ne faut pas oublier que la position du gouvernement islamique dans le dossier nucléaire, quant à l’égalité de droit pour tous les membres de l’ONU, est parfaitement compréhensible pour la plupart des pays de la région et de la planète [Le Monde diplomatique, 2007]. Ils sont conscients que, dans un monde où le savoir et la technologie connaissent chaque jour des progrès, certaines puissances se sont constitué des fiefs et considèrent d’autres pays comme des satellites tout justes bons à consommer leurs techniques révolues. Autrement dit, elles veulent les contenir dans un retard d’au moins cinquante ans. Cette discrimination est une forme de néocolonialisme. Cet état de fait a trouvé une place prépondérante dans la propagande des responsables de la République islamique. Utilisant ce moyen, ils tentent des «bluffs» sur les capacités de la technologie nucléaire et les utilisent comme un instrument dans leur propagande aussi bien dans le cadre du pays qu’à l’échelle régionale. La question de l’activité nucléaire iranienne a davantage une portée de propagande à l’intérieur du pays et à l’étranger qu’une avancée technologique réelle [Rastbeen, 2006]. Les points de vue affichés durant les derniers mois par Mohammed el Baradei, chef de l’AIEA, contrairement aux avis précédemment exprimés par l’Agence, confirme cette thèse.


31Or, nous avons constaté que les propos tenus par M. el Baradei et le rapport des spécialistes ont suscité la colère des autorités américaines et du Premier ministre israélien. Le ministre américain des Affaires étrangères (sur le conseil de George Bush) lui a conseillé, sur un ton insultant, de s’en tenir uniquement à sa responsabilité technique. Il s’est même rendu à Vienne pour l’informer des « limites de ses devoirs ». Malgré l’opposition de Moscou et de Pékin, les divergences entre les membres de la communauté européenne, Washington est en train, avec la coopération du nouveau président de la République française, de préparer une troisième série de sanctions contre l’Iran par le Conseil de sécurité. Aux États-Unis, du moins jusqu’à l’élection de Barack Obama, on continue toujours à jouer avec l’option militaire contre l’Iran


Les problèmes intérieurs de l’Iran et son influence internationale

.

Les effets des sanctions économiques se font progressivement sentir en Iran. Le gouvernement qui, dans un certain sens, est un « gouvernement militaire », tente de préparer prudemment la population à accepter leurs méfaits. Bien que les dirigeants fassent souvent état de l’inefficacité des sanctions internationales, le discours du ministre de l’Intérieur, prononcé le 4 novembre 2008 (jour anniversaire de l’occupation de l’ambassade des États-Unis par les « Étudiants partisans de la ligne de Khomeyni »), contredit cette position officielle. Il a demandé à la population de baisser sa consommation et a proposé une baisse de 10% de la consommation quotidienne. Ce chiffre traduit, dans un certain sens, les limites de l’efficacité des sanctions sur l’économie iranienne et prédit leurs conséquences sociales. Le gouvernement a également intensifié ses pressions sécuritaires et sociales. Il est parfaitement clair qu’il se prépare face au danger à venir. Cette préparation se traduit également dans le domaine militaire à l’intérieur du pays et à l’étranger. Aujourd’hui, les médias portent la plus grande part de cette charge.


33Cependant, les effets des sanctions sont plus sensibles au niveau des réactions sociales et des prises de position. Les manifestations estudiantines n’ont pas épargné le bureau de l’ayatollah Montazéri, chef religieux connu après la révolution. Celui-ci a considéré que les décisions des tribunaux révolutionnaires contre les étudiants, les seules manifestations de la colère du régime à l’égard des étudiants qui avaient manifesté lors d’un discours prononcé par le président de la République à l’université, ne sont pas religieusement correctes et a demandé leur acquittement. Le président du « Conseil de discernement », affirmant que l’Iran se trouvait dans une situation délicate, a de nouveau critiqué ceux qui parlent sans réfléchir; il était clair qu’il visait le président de la République. Des groupes qui, dans les premières années de la révolution, avaient joué des rôles clefs dans le pays, ont publié des lettres ouvertes contre les politiques macro et microéconomiques, culturelles et sociales et l’aggravation de la répression, ainsi que contre les paroles irresponsables du président de la République Ahmadinejad. Un ancien parti, aujourd’hui marginalisé, a sévèrement critiqué, dans un communiqué, la politique du gouvernement quant aux droits de l’Iran sur la mer Caspienne, etc. Ces agissements surviennent au moment où l’Iran s’approche des élections de l’Assemblée islamique. La mobilisation électorale a, en effet, commencé depuis plusieurs mois par les partisans du gouvernement ainsi que par la tendance surnommée les « Ossoulis ». L’école des Ossoulis, fondamentaliste, défend, contre les Akhbari, le droit des oulémas et leur autorité légitime pour les affaires religieuses. Elle estime que le droit à l’interprétation du Coran revient au haut clergé, aux grands oulémas. Cette victoire sur l’école Akhbari a eu pour conséquence le renforcement du pouvoir du clergé et de la haute hiérarchie chiite [Thual, 2002]. Dire la loi en milieu islamique, c’est s’imposer au pouvoir politique. Par ailleurs, la pression exercée sur les médias s’inscrit dans ce sens. Cependant, les différentes tendances au sein du régime et celles qui en sont évincées se préparent au combat politique grâce au mouvement social qui a pris forme dans la société. Cet ensemble prédit un avenir avec des événements imprévisibles en Iran, pendant les derniers mois de l’année iranienne.


34Dans le sud de l’Iran, les conditions de coexistence avec les voisins ne sont pas meilleures que lors de la guerre contre l’Irak. Le ministre des Affaires étrangères de l’Arabie saoudite a même demandé à l’Iran de restituer aux Émirats les « trois îlots » qu’il estime émiratis et que l’Iran a « occupés ». L’armée américaine est installée en Irak. La sphère du blocus américain s’étend jusqu’au territoire des Émirats qui, depuis la révolution, est devenu une base commerciale importante entre l’Iran et l’étranger. Les États-Unis tentent d’évincer progressivement les régimes islamiques de la région. Ils essayent de reprendre au régime islamique irakien la position qu’ils lui avaient conférée, dont le préalable consiste à ne pas créer un régime hostile, après Saddam Hussein, dans ce pays. Pour Washington, cela signifierait de mettre au placard la stratégie du Grand Moyen-Orient [Ekovich, 2006]. La politique américaine, qui tente de manière opportuniste et selon le cas à résoudre les problèmes, a également pensé à cette alternative. Mais, pour le moment, les États-Unis tentent de renverser le régime islamique en Iran, pour pouvoir sortir de l’impasse en Irak. Selon les observateurs, la transaction sur l’Irak et le Hezbollah au Liban est la clef de la conciliation sur laquelle jouerait le régime islamique [Le Monde, 2007]. Or, même en cas d’une telle entente, les États-Unis ne supporteront pas l’existence d’un régime qui, durant presque trente ans, a levé l’étendard de l’antiaméricanisme dans la région et dans le monde, un régime qui, dans un pays qui détient la clef stratégique de la région, a remplacé celui qui était leur ami et collaborateur [Ekovich, 2005].


35La stratégie américaine, en tant que seul système dominant au niveau international, constitue un obstacle difficilement franchissable par la stratégie internationale de la République islamique. De toutes parts, l’Iran se heurte à la présence et à l’adversité américaines. Ce n’est pas seulement au sud de l’Iran que l’ombre des États-Unis et d’Israël plane sur les pays arabes et arabophones où l’Iran tente, chèrement, de garder la Syrie dans son sillage. Aux frontières nord du pays également, dans le bassin sensible de la mer Caspienne, sous la domination de l’Union soviétique, les droits de l’Iran se limitaient à la pêche et aux activités de la Société nationale de pêche, et l’exploitation des autres réserves se trouvait derrière la « ligne rouge ». Après la chute du régime soviétique, de nouvelles perspectives stratégiques s’ouvrirent pour l’Iran. Or, l’ombre des États-Unis et de leurs sociétés multinationales plana sur la région, de sorte que les nouveaux pays limitrophes de la mer Caspienne qui avaient un besoin naturel de lien avec l’Iran – aussi bien dans l’exploitation des réserves marines que dans le retour vers les voies historiques avec le monde – furent contraints, sous la pression des États-Unis, de renoncer à s’approcher de l’Iran. Les droits historiques de l’Iran sur la mer Capsienne furent également mis en cause. Les efforts pour la création d’une Union de coopération économique entre l’Iran et ses voisins du Nord prirent une forme inefficace et formelle, répondant aux relations commerciales limitées entre ces pays. Et cela parce que les compagnies pétrolières multinationales avaient assuré leur mainmise sur la région et que les pressions américaines avaient fait dévier les chemins du transit du pétrole et du gaz, alors que le passage par l’Iran aurait été plus facile et plus économique.


36De même, il devint rapidement clair qu’un retour aux relations anciennes entre ces pays et l’Iran – symboles de l’histoire, de la civilisation et de la culture iraniennes ainsi que des relations économiques – ne serait pas aisé en raison de l’aspect religieux de l’Iran et de ses représentants. Face à la double politique de rivalité entre les États-Unis et la Russie, la stratégie indépendante visée par l’Iran ne put se réaliser. L’Iran réussit, en concédant des avantages, à se rapprocher de l’Arménie, face à la République d’Azerbaïdjan. Or, les fondements de ce rapprochement n’étaient ni solides ni conséquents. La signature du contrat de vente de gaz d’Arménie à l’Iran fut le seul acquis de l’Iran dans cette coopération (se substituant aux rêves de transformer l’Iran en tant que principale voie de liaison des pays d’au-delà de la mer Caspienne). Quant au partage des réserves marines – l’Iran, en vertu de nombreux accords avec l’Union soviétique, était propriétaire de 50% de la mer Caspienne–, il est resté lettre morte depuis les dix-sept ans qui nous séparent de l’indépendance des autres pays limitrophes. Ces pays ont signé, ensemble, un accord avec la Russie, sans respecter les droits de l’Iran. Ce dernier n’a pas accepté, à ce jour, l’accord global de la délimitation des zones territoriales de ces pays. Ceci constitue un obstacle face à l’activité des compagnies étrangères qui ont su obtenir des avantages compensateurs de la part des pays riverains.


La politique du « regard vers l’Est » du gouvernement islamique, pour contourner le blocus américain, a transformé l’image de l’action de l’Iran – aussi bien dans la modélisation des modes économiques de la région que dans la diversification des coopérations. Dans ce cadre, il convient de noter le commerce avec la Chine en tant que partenaire commercial important : l’Iran a signé avec elle un contrat portant sur trente milliards de dollars, en vertu duquel la Chine comblerait, dans l’exploitation des réserves gazières de l’Iran dans le golfe Persique, la place laissée vacante par les compagnies américaines, les relations bilatérales avec l’Inde, les deux Corée, le Japon, l’Indonésie et la Malaisie. Cependant, dès la première pression américaine, le Japon a reculé et l’Inde, après avoir signé un accord de coopération nucléaire avec les États-Unis, a pris une position prudente dans le cadre de l’important accord signé avec l’Iran sur le plan gazier.


Les relations entre la Turquie, le Pakistan et l’Iran ne peuvent être soustraites à l’influence de la politique américaine. La crise au Pakistan et les frontières perméables du Balouchistan, du Pakistan, de Mokran et de Kerman permettent le passage des éléments mobilisés contre l’Iran. Les bases américaines en Turquie et la coopération militaire entre cette dernière et l’Israël suscitent également l’inquiétude. Face à cette situation géopolitique instable, l’Iran mise sur une unité créée par la Chine et la Russie pour l’Asie centrale et a participé, il y a quelques mois, en tant qu’observateur, à une réunion conviée à ce sujet [Bauchard, 2007]. Depuis est posée la question de la volonté de l’Iran à participer à cette unité en vue de sortir de son isolement par les États-Unis.


Ainsi se précise le risque d’une crise explosive dans l’ensemble du Grand Moyen-Orient du président Bush, que son administration a renommé en Nouveau Moyen-Orient. Les facteurs de cette explosion se trouvent aussi bien aux États-Unis que dans la région. Les États-Unis, détenteurs des dépôts de capitaux internationaux, sont incapables de résoudre les grandes difficultés qui leur sont intrinsèques. La crise financière mondiale qui s’est déclenchée en 2008 en est venue donner la preuve. La seule issue serait-elle une nouvelle guerre ? Le Grand Moyen-Orient est la partie du monde où se trouvent nombre de facteurs pour entamer un nouveau et grand conflit qui pourrait supplanter l’impasse des guerres en Irak et en Afghanistan.


Sortir de l’impasse


Ce qui a conduit à l’impasse les relations entre l’Iran et les États-Unis est apparemment la question des « activités nucléaires iraniennes » transformée en une affaire internationale avec la campagne orchestrée depuis des années par les États-Unis et Israël. En réalité, le dossier nucléaire est un prétexte pour couvrir les différends entre les deux pays, depuis le début de l’instauration du régime théocratique en Iran, des différends bilatéraux qui se sont accumulés depuis trente ans. Grâce à ses réserves importantes de gaz et de pétrole et à sa position stratégique spécifique, l’Iran avait attiré la convoitise américaine dès les premières décennies du XXe siècle. Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, les États-Unis, en tant que puissance suprême du monde, ont eu une présence multilatérale en Iran, à laquelle il fut mis fin avec la révolution iranienne. Bien que Washington ait réussi, sans l’Iran, à préserver sa domination sur le bassin du golfe Persique, il n’a jamais pu supporter d’avoir été radicalement chassé de ce pays. Ceci entretient une violente tension politique qui, bien que préjudiciable à l’Iran, a renforcé la position du régime théocratique. Cet affrontement a rapidement constitué la base de la politique extérieure de l’Iran.


Le dossier des activités nucléaires de l’Iran, fabriqué à l’époque par les néo - conservateurs, fut, pour Washington, une légitimation de sa position agressive à l’égard de l’Iran.


Si l’administration Bush était restée en place, l’Iran aurait pu devenir le centre d’événements catastrophiques. Même dans les conditions actuelles, il n’est pas impensable que les États-Unis et l’Iran arrivent à une entente au sujet de ce dossier si, préalablement, les obstacles empêchant la normalisation des relations entre les deux pays s’effacent les uns après les autres pour laisser la place à un climat plus détendu. Méfiance et tensions ne sont pas unilatérales; elles se sont enracinées auprès des deux parties, atteignant leur apogée autour du dossier nucléaire. Si l’équipe du président Obama réussit à trouver une voie d’entente différente de la méthode poursuivie par les néoconservateurs dans les relations avec l’Iran, nous pourrions sortir de cette impasse nucléaire.


Washington doit admettre que, dans les conditions complexes du Moyen-Orient, la normalisation des relations avec Iran doit se faire en renonçant à une attitude hégémonique et en acceptant les droits régionaux de l’Iran dans le golfe Persique, la mer Caspienne et ses relations avec les pays asiatiques. Washington doit mettre un terme progressivement à sa politique de blocus militaire, économique et politique à l’égard de l’Iran.


À la faveur d’une telle politique, le monde, et d’abord les États-Unis, serait en droit de demander à l’Iran de mettre un terme à son éventuel programme nucléaire militaire. Cela constituerait une revendication légitime face au régime actuel de l’Iran dans ses structures nationale et internationale.


La marge de manœuvre de l’Iran au Moyen-Orient est limitée : reconnaître le Hamas à Gaza, le Hezbollah au Liban et l’amitié avec la Syrie. Si l’opinion publique du monde arabe est attirée par le président de la République d’Iran, les gouvernements arabes et plus encore Washington, doivent faire le bilan des politiques qu’ils ont menées jusqu’à ce jour à l’égard de l’Iran et réexaminer la révolution qui a eu lieu, il y a trente ans, dans ce pays.


En Iran, proie de l’intégrisme religieux, il n’y a aucune possibilité de coexistence avec d’autres traditions islamiques, notamment celles qui prévalent dans la grande majorité des pays arabes. Cinq siècles nous séparent de l’époque de Shah Ismaïl Séfévide qui réussit à imposer par l’épée sa religion à la Perse. Cependant l’Iran, le plus grand pays de la région, un réservoir important de gaz et de pétrole, avec ses débouchés sur le golfe Persique et la mer Caspienne, est une donnée géopolitique si importante que les États-Unis ne peuvent pas continuer de le négliger, comme ils n’ont pas pu le faire jusqu’à maintenant [Rami, 2005]. De même, ils ne peuvent ignorer la Russie et sa participation actuelle et future avec les pays du golfe Persique. Une voie qui ne réclame guère la présence de forces maritimes, aériennes et terrestres et peut permettre au golfe Persique de devenir un des bassins les plus sûrs pour les collaborations internationales. Il s’agit d’observer jusqu’à quel point le président Obama aura les capacités de conduire la géopolitique mondiale dans une voie différente de la précédente.



Share:
0 Commentaire trouvé

Laisser un commentaire

Votre adresse mail ne seras pas communiquer *