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Diplomatie & Politique

La diplomatie d’influence

par Abdoul KH.D. Dieng - 03 Aug 2024 -
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La diplomatie est devenue un exercice d’influence. L’objectif est tantôt de gagner un État à sa cause dans une négociation internationale ou dans la mise en place d’une coalition militaire, tantôt d’obtenir un contrat économique sur un marché étranger, tantôt de recueillir un soutien pour une ligne politique, un engagement sur le plan du rayonnement culturel. Il apparaît aussi que cette diplomatie d’influence vise les acteurs non-étatiques, que ce soient les partis politiques, les faiseurs d’opinions, les milieux intellectuels, les décideurs économiques. Connue aussi sous le nom de soft power, elle a transformé en profondeur le métier de diplomate, devenu plus complexe aujourd’hui. En effet, le diplomate exerce son métier au contact d’une multitude d’acteurs : les médias, les chefs d’entreprise, les réseaux sociaux, avec lesquels il doit interagir. Il est aux prises avec une multiplicité d’enjeux, d’ordres économique, culturel, linguistique : soutenir les efforts de pénétration commerciale d’une entreprise ou le savoir-faire technologique dans un domaine de pointe, le rayonnement culturel d’une langue ou d’une littérature (par exemple dans le cadre de la francophonie), l’excellence des universités de son pays (pour y attirer les cerveaux étrangers). Il doit manier un grand nombre de vecteurs que sont les réseaux sociaux, de Facebook à Twitter.


Cette diplomatie d’influence a aussi des conséquences institutionnelles. En effet, le ministère des Affaires étrangères doit désormais coordonner sa stratégie d’influence avec une série d’autres opérateurs publics, détenteurs d’un savoir spécifique. Tant et si bien que cette modalité nouvelle de la diplomatie consiste à agir en réseau en s’entourant d’une multitude d’acteurs. De ce point de vue, la diplomatie d’influence a bousculé le cadre traditionnel de la diplomatie, qui était celui du dialogue d’État à État. C’est tout l’apport de la réflexion de Joseph Nye, qui a expliqué que le soft power ne dépend que partiellement du rôle des États, contrairement au hard power. Nye part du constat que la mondialisation a brisé le lien entre puissance et territoire. Nous sommes plongés dans un monde d’interdépendances complexes. Pour Nye, le plus puissant n’est pas celui qui dispose de la plus forte capacité militaire mais celui qui peut rallier autour de lui la plus grande coalition, celui qui a la capacité de produire et de diffuser l’information. Le soft power est un pouvoir d’attraction, grâce à des ressources intangibles comme la culture, les institutions, les faiseurs d’opinion, les idées.


On peut identifier quatre piliers dans la diplomatie d’influence. En premier lieu, l’influence est centrée sur des objectifs précis : conquérir des marchés, bâtir des coalitions. En cela, il faut la différencier du rayonnement, qui relève de la diplomatie culturelle classique. En deuxième lieu, il convient d’identifier les cibles visées par la stratégie d’influence : qui veut-on influencer ? Des relais d’opinions ? Des décideurs économiques ? Des milieux intellectuels ? Pour chaque cible il faut une stratégie différenciée. En troisième lieu, il faut savoir tantôt se donner des objectifs à court terme (une décision économique nécessite parfois de mobiliser rapidement les éléments pouvant emporter l’accord escompté), tantôt agir sur le long terme, par exemple lorsqu’il s’agit d’attirer la future élite d’un pays vers nos universités. Enfin, en quatrième lieu, il faut identifier tous ceux qui vont participer à la future stratégie d’influence, aux côtés des diplomates : les « acteurs de l’influence » que sont les intellectuels, les milieux économiques, les experts techniques, les médias.


Et sans doute l’efficacité de l’influence passe par une combinaison du soft et du hard power. D’où le concept de smart power : la puissance se mesure à la capacité de mêler habilement le soft et le hard, l’influence et la coercition.


Relisons Joseph Nye, le père du « soft power ». Ce pouvoir doux correspond selon Nye à la capacité de séduire, d’attirer. Par quels moyens un État peut-il attirer ? Quelles sont les armes de la séduction ? Joseph Nye identifie trois vecteurs majeurs du « soft power » : la culture, la politique étrangère et les valeurs.


L’action culturelle consiste à diffuser des œuvres avec l’intention de susciter de l’intérêt, voire de l’admiration. Les ambassades sont des diffuseurs de culture et, dans certains cas, elles disposent d’un véritable service culturel, qui abrite une bibliothèque, organise des conférences ou des récitals, faisant venir dans le pays tel ou tel écrivain, ou artiste renommé. Un orchestre national en tournée, c’est un événement culturel mais aussi diplomatique dans la mesure où les artistes sont les ambassadeurs de la culture de leur pays.


Enfin, tout cela n’est pas sans retombées économiques : un festival de la bande dessinée belge organisé avec l’appui d’une ambassade, donnera à des jeunes artistes l’envie d’aller se perfectionner dans les écoles de dessin de Bruxelles et de Charleroi. Ainsi n’est-il nullement incongru qu’une ambassade organise un séminaire littéraire, avec des auteurs du pays représenté, pour familiariser le public des amateurs de littérature avec tel romancier ou tel poète, dont les œuvres sont en partie traduites dans la langue locale. Pour soutenir le rayonnement culturel d’un pays, il est possible, pour certains États, de s’appuyer sur des établissements culturels. C’est le cas de l’Alliance française, fondée en 1883 par Paul Cambon. La Mission laïque française, qui gère plusieurs centaines d’établissements scolaires français dans le monde, fut créée au début du XXe siècle. Ces institutions sont des diffuseurs de culture et visent à attirer, par le biais de l’enseignement du français et en français, les élites locales.


Le champ culturel anticipe quelquefois la relation diplomatique. La France a parfois ouvert une Alliance française dans un pays avant d’avoir des relations diplomatiques, comme dans certains États des Balkans. L’ouverture d’un centre culturel atteste de l’importance attachée à tel État. Inversement, fermer une antenne culturelle dans un pays peut signifier une forme de désaccord politique.


Depuis 2016, l’acteur principal de la diplomatie publique et culturelle française est l’Institut français. Cet établissement public a pour objectif de promouvoir la culture française à l’étranger, en s’appuyant sur le réseau des services culturels des ambassades de France, les instituts français et les Alliances françaises. La coordination locale est placée sous la direction de l’ambassadeur. L’Institut français a ceci de particulier qu’il ne se contente pas de promouvoir les artistes français mais aussi de travailler avec des artistes étrangers.


Une des finalités de la diplomatie culturelle est la création de réseaux. Le facteur humain est ici primordial. Ceux qui auront étudié dans nos universités (les alumni), obtenu un prix prestigieux (le Nobel ou un doctorat honoris causa), participé à un programme d’échange (bourse Fulbright aux États-Unis, programmes Vacances-Travail entre le Canada et nombre d’États européens) seront a priori disposés à conserver un lien avec le pays où ils ont étudié, professé ou été honoré.


On a pu dire qu’aujourd’hui le « faire-savoir » est aussi important que le « savoir-faire ». C’est pourquoi la diplomatie sort maintenant des salons feutrés des ambassades pour s’adresser à la société civile, dans toute sa diversité. Le diplomate de terrain préfère parler à la population du pays où il se trouve plutôt qu’à ses collègues dans les murs d’une ambassade ou les salons d’un club huppé. Les rencontres diplomatiques se passent désormais dans les lieux publics, marqués par l’hybridation culturelle : dans un « barrio » ou dans un souk, dans la blogosphère, sur l’avenue principale d’une ville ou dans une hutte à proximité d’une zone de guerre.


Enfin, la diplomatie doit faire l’apprentissage des nouveaux moyens de communication. Les outils numériques sont indispensables pour atteindre le plus grand nombre. On est passé à l’ère de l’e-diplomatie, d’autant que les jeunes diplomates aujourd’hui sont les premiers enfants de la génération Internet. Cela ne veut pas dire que les documents confidentiels doivent se retrouver sur le web mais il convient désormais de nourrir un dialogue permanent avec tous ceux qui veulent comprendre les tenants et aboutissants de la diplomatie. Et ainsi la communication du Web 2.0 rapproche le citoyen de la diplomatie qui devient véritablement publique.


L’utilisation du numérique au service de la communication institutionnelle des Affaires étrangères n’a pas grand-chose à voir avec les enjeux liés à la diplomatie d’influence. En effet, ce n’est pas en diffusant – même efficacement – les agendas du gouvernement qu’un pays va accroître son influence dans le monde.


Utiliser le numérique comme instrument de soft power nécessite une autre approche et d’autres méthodes. Cela demande également une implication de tous les diplomates et pas seulement celle de la dizaine de spécialistes du web rattachés au service de presse des Affaires étrangères. La diplomatie numérique est la continuation de la diplomatie classique au moyen de la technologie de l’information. Elle illustre l’effort des États à s’adresser aux sociétés des autres États. Elle conduit à une réinvention des pratiques diplomatiques. Elle correspond bien à une modalité du smart power en combinant les progrès sur l’Internet avec la volonté de projeter une image attirante de l’État qui l’utilise. Mais on perçoit bien que l’Internet oppose des systèmes de valeurs. C’est ainsi qu’Hillary Clinton a fait de la liberté de se connecter une des libertés fondamentales, aux lendemains des tensions entre Google et le gouvernement chinois. Aujourd’hui, on perçoit bien qu’il n’y a pas de diplomatie d’influence sans révolution numérique.


Pour être influents sur le web et les réseaux sociaux, les diplomates doivent prendre en compte plusieurs éléments essentiels.


Pour exister et être influents sur le web, il faut être présent sur les « carrefours d’audience » ou disposer de communautés importantes composées dans la mesure du possible d’influenceurs. Les diplomates pourraient donc être de véritables influenceurs auprès de leur communauté virtuelle, elle-même fédérant des influenceurs « locaux ». La diplomatie publique commence par l’écoute : avant de pouvoir mettre en œuvre la diplomatie publique, il est nécessaire de s’être fait une idée du groupe cible.

En outre, point d’influence sans « contenu » riche : une photo de ministres qui se serrent la main n’intéresse (presque) personne et n’a pas d’impact en termes d’influence. En revanche, un argumentaire bien ficelé au service d’une position diplomatique sur un sujet donné, traduite en plusieurs langues, pourrait avoir une audience mondiale et circuler sur le web. Mais, actuellement, les diplomates hésitent parfois à utiliser les réseaux sociaux pour faire circuler leurs idées et promouvoir leurs positions. La diplomatie publique ne concerne pas que l’émetteur, elle est aussi destinée à influencer une politique ou un groupe cible.

Sur les réseaux sociaux, l’individu est au cœur du système et non les institutions. Ainsi, par exemple, un diplomate qui partagerait sur son compte Facebook une critique d’un livre qu’il aurait apprécié pourrait être un vecteur d’influence culturelle pour son pays. À l’heure actuelle, les diplomates utilisent de plus en plus fréquemment un compte twitter personnel pour partager des idées, des coups de cœur ou les positions officielles de leur pays. De ce point de vue, la diplomatie belge est moins présente sur ce terrain que la Grande-Bretagne, le Canada ou la Suède, par exemple.


Ce maigre appétit que certains ont encore pour le numérique est sans doute un peu dommage car le retour sur investissement du web est très important. Avant même une révolution technologique, c’est pourtant une révolution culturelle que doivent faire les diplomates. En effet, la diplomatie classique a longtemps considéré que l’influence devait s’exercer auprès des élites en ignorant les opinions publiques. Pourtant, dans un monde où les classes moyennes progressent dans de nombreux pays, où l’émergence des sociétés civiles par le biais de l’Internet, comme force politique, devient une réalité, s’adresser à ces dernières est une nécessité. Car ce sont bien ces classes moyennes – dont le pouvoir d’achat et l’influence grandissent – qui se retrouvent sur les réseaux sociaux et sur l’Internet, qui sont susceptibles de consommer nos produits, de regarder nos films ou de venir faire du tourisme en France. Augmenter l’influence de son pays en essayant de convaincre ces publics est donc un enjeu pour les diplomates. Un enjeu qui passe obligatoirement par la conception et la mise en œuvre d’un « plan de numérisation » de la diplomatie nationale, plan qui devra mettre chaque diplomate, et non un pôle web centralisé, au cœur de l’action numérique du Département des Affaires étrangères.


Si l’on considère les entreprises américaines véhiculant une certaine image de l’Amérique, il y avait jusqu’à présent Coca-Cola, Disney ou McDonald’s. L’industrie du cinéma (Hollywood) relayait ces produits à travers de nombreux films. Aujourd’hui, ce sont plutôt Apple, Google, Amazon, Facebook ou Netflix qui sont les relais de la culture américaine. On a pu dire que les industries culturelles contribuent au « capital-image » d’un État. Les plateformes numériques permettent de diffuser les produits culturels américains (notamment les produits musicaux et audiovisuels) grâce à Netflix ou Amazon. Des millions de téléspectateurs de Netflix ou d’abonnés à Facebook intègrent en quelque sorte les symboles et valeurs véhiculés par ces vecteurs culturels. Cela induit une forme de réceptivité à l’influence américaine, même dans des pays où le régime en place tente de freiner ou de censurer cette influence, comme en Iran. Cela a aussi des retombées économiques puisque les échanges culturels sur les plateformes numériques américaines sont une source de revenus intéressante pour l’industrie du divertissement.


On ne s’étonnera pas, dès lors, que les diplomaties s’intéressent toujours davantage à ces géants du Net, regroupés sous l’abréviation GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon). En effet, ce sont de tels vecteurs d’influence, dotés de ressources économiques considérables, qu’ils en sont devenus de vrais acteurs politiques, au même titre que les acteurs étatiques. Le Danemark et la France disposent depuis peu d’un « ambassadeur pour les négociations internationales sur le numérique » et sont des pionniers en la matière.


Même s’ils sont virtuels, il s’agit bien de nouveaux territoires. Territoires numériques, s’entend. Et il nous faudra bien nous confronter avec leurs dirigeants, leur faire part de nos valeurs et, par conséquent, négocier. C’est le propre de la diplomatie : conduire des négociations entre personnes, entre groupes ou nations. Aujourd’hui, la capitalisation boursière d’Apple (620 milliards de dollars) est à peine inférieure au PIB d’un pays comme l’Arabie saoudite, tandis que celle de Google, première capitalisation boursière du monde, dépasse largement celui de l’Argentine. Voilà qui situe les forces en présence. En pratique, cet ambassadeur d’un genre nouveau aura pour feuille de route d’entretenir et de resserrer les liens entre ces mastodontes de la Tech et Copenhague ou Paris, au même titre que des relations bilatérales classiques. Sa mission est formulée en ces termes : « Capter les signaux envoyés par les géants des nouvelles technologies et les répercuter dans la société danoise. »


On assiste aujourd’hui à l’émergence d’un nouveau paradigme diplomatique, façonné par les réseaux sociaux. Il combine la participation à une société internationale et la pratique des relations d’État à État, à l’heure d’Internet. On évalue l’influence d’un État à sa capacité à produire et à partager de l’information. On sent bien que la diplomatie publique a partie liée au soft power. On pourrait dire, à l’instar de certains auteurs, que « la diplomatie publique est une stratégie que l’on mène, le soft power, un résultat que l’on attend ». La première est de l’ordre des moyens, la seconde de l’ordre des fins. Ou encore : la diplomatie publique remplit les fonctions de la diplomatie classique (défense des intérêts d’une puissance) par le biais de la communication. Elle ne vise pas à convaincre d’autres diplomates mais des populations (via les faiseurs d’opinions) pour obtenir une forme d’adhésion ou à tout le moins de sympathie. Du coup, les populations ayant fait l’objet d’une stratégie de diplomatie publique vont faciliter les objectifs commerciaux ou politiques d’un pays vis-à-vis d’un autre pays. Mais ce qui différencie la diplomatie publique de la diffusion classique d’informations, c’est l’aspect idéologique. En effet, l’objectif est bien de faire prévaloir une perception positive du pays concerné et de faire reculer les critiques négatives.


Il ne faut pas, pour autant, confondre le porte-parole du ministère des Affaires étrangères et le bureau de la diplomatie publique. Le premier diffuse une information précise, aussi objective que possible, sans a priori idéologique. Il informe. Le second est un outil pour convaincre et influencer. En s’inspirant de l’analyse de Christian Lequesne.


Christian Lequesne : « La diplomatie publique : un objet…, on peut faire les trois remarques suivantes : en premier lieu, la diplomatie publique occupe une place croissante dans le travail classique du diplomate, au point qu’elle détrône (dans un certain nombre de postes diplomatiques) les tâches d’informations habituelles. La deuxième remarque a trait à l’opportunité de la diplomatie publique. Il est erroné de croire qu’elle est nécessaire en toutes circonstances. En effet, il faut s’assurer que le contexte se prête bien à ce genre de communication au risque, sinon, de commettre un impair. Quelle est la portée de la diplomatie publique dans des pays où les réseaux sociaux sont contrôlés, voire peu accessibles ? Dans des pays où règne la censure ? Enfin, troisième et dernière remarque, est-ce toujours en partageant l’information avec le plus grand nombre (via les réseaux sociaux) que l’on suscite la plus forte adhésion aux valeurs et idées que l’on propage ? Certes, l’époque du secret paraît révolue ou, en tout cas, il est nécessaire de communiquer et d’accepter le débat démocratique, y compris sur les questions de politique étrangère. Mais faut-il nécessairement tout porter sur la place publique ?


Les États qui capitaliseront le plus sur le soft power sont ceux qui privilégieront la multiplicité des canaux de communication et les doteront de valeurs à large diffusion. Aujourd’hui, la société civile, grâce à une présence active sur Internet, aspire à exercer de l’influence sur les options de politique étrangère. C’est un phénomène nouveau, dont on n’a pas encore pris toute la mesure. Mais l’État se voit fortement concurrencé sur ce terrain. La diplomatie d’influence connaît une révolution numérique. Elle ne fait que commencer. Nous allons bientôt connaître ce qu’Hubert Védrine a appelé une « vaste redistribution de la puissance ».


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