Au Mali, les forces pro-gouvernementales combattent des groupes armés terroristes et non terroristes d'une manière qui rappelle la rébellion touarègue de 2012. Cette fois, cependant, la communauté internationale ne semble guère s'en rendre compte. Cela est source d'inquiétude.
Aucun partenaire occidental ne vient en aide à l’armée malienne surchargée, comme le faisait autrefois la France . L’approche actuelle du Mali, qui repose sur des frappes aériennes de démonstration de force et sur le soutien du groupe de mercenaires russes Wagner, n’a pas permis de remporter une victoire décisive. Fin juillet, des groupes armés ont tué jusqu’à 47 soldats maliens et 84 mercenaires Wagner près de la frontière algérienne, déclenchant une nouvelle série de combats.
Il n’existe qu’un seul moyen d’éviter de nouvelles pertes en vies humaines et de nouvelles contestations territoriales : la médiation. Alger, qui a négocié de nombreuses libérations d’otages et des accords de paix dans le nord du Mali – notamment l’accord d’Alger de 2015 – n’est plus un interlocuteur apprécié. Bamako a accusé Alger de s’immiscer dans ses affaires en rencontrant des chefs rebelles. Les voisins du Mali à l’est, le Burkina Faso et le Niger, sont trop préoccupés par leurs propres problèmes de sécurité intérieure pour jouer un rôle significatif. Mais la Mauritanie, voisine du Mali à l’ouest, est dans une position unique pour favoriser la paix.
La Mauritanie est un pays relativement stable, dont la neutralité historique dans les conflits régionaux lui a valu des relations généralement positives avec l’étranger. Les tentatives précédentes de médiation n’ont pas réussi à instaurer une paix durable dans le nord du Mali, en grande partie parce qu’elles n’étaient pas inclusives. Mais grâce à sa neutralité, la Mauritanie a la possibilité de dialoguer avec toutes les parties au conflit dans le nord du Mali – groupes armés non terroristes, terroristes et forces pro-gouvernementales. Cela présente des avantages certains.
Le président mauritanien, Mohamed Ould El Ghazouani, a récemment été investi pour un second et dernier mandat, qu'il exerce parallèlement à la présidence de l'Union africaine (UA). L'UA dispose d'un pouvoir de convocation considérable et Ghazouani est un médiateur idéal en raison de la neutralité de la Mauritanie, ce qui rend le moment idéal pour un effort de paix régionale.
La paix servirait également les intérêts de la Mauritanie. Le conflit qui s'étend au Mali a déstabilisé sa frontière orientale. Plus de 55 000 Maliens ont fui vers la Mauritanie l'année dernière, inondant les camps de réfugiés. La Mauritanie a accusé les Forces armées maliennes (FAMa) et Wagner d' avoir traversé la frontière orientale et tué des Mauritaniens. La médiation offre à Ghazouani l'occasion d'endiguer le flux de réfugiés et de mettre définitivement un terme aux incursions violentes transfrontalières qui ont tué ses électeurs.
Les deux principales parties au conflit, le Jama'at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM) et le gouvernement de transition malien, ont des objectifs opposés. Le JNIM est affilié à Al-Qaida et vise à renverser le gouvernement, tandis que Bamako souhaite éradiquer le terrorisme et affirmer son contrôle sur son territoire. Dans le même temps, une coalition de groupes armés anti-gouvernementaux et non terroristes, le Cadre stratégique permanent pour la défense du peuple de l'Azawad (CSP-DPA), lutte pour une plus grande autonomie régionale et des opportunités économiques. Les relations du CSP-DPA avec le JNIM ne sont pas claires.
Quoi qu’il en soit, aucune des parties n’a donné son accord à la Mauritanie pour une médiation, de sorte que Nouakchott devra opérer en dehors d’un processus de paix officiel, du moins au début. C’est risqué mais nécessaire. Bamako a progressivement chassé les troupes françaises, européennes et onusiennes au cours des dernières années, démontrant ainsi son hostilité aux efforts internationaux de stabilisation. Le gouvernement de transition malien rejetterait probablement une demande d’engagement avec des chefs de groupes armés terroristes ou non terroristes.
Le conflit mérite toujours une médiation. Après des mois de combats, aucun acteur n’a réussi à maintenir une dynamique soutenue sur le champ de bataille. Il y a bien sûr des affrontements, mais le conflit est loin d’être terminé. Les FAMa et Wagner ont utilisé de grandes quantités de munitions au cours d’opérations offensives. Ces opérations ont déplacé et tué des civils du nord sans pour autant réduire de manière significative les capacités des groupes armés. Ces derniers se sont retirés dans des zones plus reculées du désert du Sahara, où ils dépensent leurs maigres ressources pour survivre. Cette situation ne peut pas durer éternellement.
Voici comment la Mauritanie peut amener toutes les parties à la table des négociations :
La Mauritanie est bien placée pour nouer des contacts avec les dirigeants des groupes armés terroristes et non terroristes, compte tenu des liens historiques que sa population Beidane (Maure blanc) entretient avec la population touarègue du Mali. Les deux groupes ethniques ont historiquement adopté des schémas migratoires similaires, et leurs liens personnels, religieux et commerciaux perdurent à ce jour. Les citoyens mauritaniens ont maintenu des liens avec les populations du nord du Mali en empruntant des itinéraires de transhumance séculaires .
La Mauritanie devrait exploiter ces relations et ces voies pour nouer des contacts avec les dirigeants des groupes armés terroristes et non terroristes, dont beaucoup sont des Touaregs maliens, sans éveiller les soupçons. Une fois le contact établi, la Mauritanie devrait organiser des rencontres discrètes en personne avec certains dirigeants de ces groupes armés pour déterminer s’ils sont disposés à s’engager davantage.
La Mauritanie doit clairement faire comprendre aux dirigeants des groupes armés terroristes et non terroristes l’importance d’un dialogue plus approfondi. Le JNIM est particulièrement important, car ses membres ne se sont jamais réconciliés avec Bamako ni n’ont déposé les armes. Leurs opérations, ainsi que leur recrutement continu de populations du nord, ont rendu impossible une véritable paix. Les dirigeants du JNIM sont donc essentiels à l’instauration d’une paix durable dans le nord du Mali.
La Mauritanie peut offrir des mesures incitatives aux chefs des groupes armés pour qu’ils s’engagent dans la médiation. Par exemple, elle peut proposer d’intercéder en leur faveur auprès du gouvernement de transition malien, de faire pression pour que les opérations militaires soient interrompues et de légitimer leur tentative de prendre le contrôle du nord du pays.
Les dirigeants touaregs du JNIM pourraient être réceptifs à l’argument selon lequel, sans ce soutien, il leur sera impossible d’échapper aux persécutions et d’exercer un véritable leadership sur le nord du Mali, leur patrie. Leur ambition de s’assurer le pouvoir dans leur pays d’origine est, après tout, antérieure à la création du JNIM. Mais en fin de compte, seul le dialogue pourra révéler s’ils sont ouverts à la médiation.
La proposition de médiation de la Mauritanie doit être assortie de conditions : les dirigeants touaregs du JNIM doivent s’engager à se désaffilier d’Al-Qaïda et du JNIM. Ils doivent cesser définitivement toute activité terroriste et cesser d’attaquer des civils ou d’autoriser des jeunes à servir comme combattants. Les dirigeants peuvent choisir de ne pas accepter ces conditions ; si tel est le cas, ils ne doivent pas être inclus dans les négociations.
Cette étape suppose que la défection massive des Touaregs du JNIM ne déclenchera pas de conflit avec l’une de ses principales factions, le Front de libération du Macina (MLF), dominé par les Peuls. Les faits suggèrent que le MLF ne déclenchera pas de conflit violent, car cela finirait par épuiser ses ressources. Le MLF a tout intérêt à accepter une défection massive, et le risque de conflit fratricide est donc faible. Il est beaucoup plus probable que la séparation du JNIM améliore la stabilité à long terme du Mali.
La Mauritanie devrait faire une offre officielle de médiation dans ce conflit. Ghazouani pourrait organiser des rencontres avec chaque partie au conflit et obtenir leur consentement pour lancer des pourparlers multipartites. Si les étapes précédentes ont réussi, les dirigeants des groupes armés terroristes et non terroristes pourraient déjà avoir accepté de négocier. Ghazouani pourrait ainsi « livrer » le JNIM et le CSP-DPA aux responsables maliens.
Il sera difficile de convaincre le gouvernement de transition malien d’entamer des négociations multipartites. Cette année, les FAMa se sont déployées et ont tenu le contrôle du territoire du nord du Mali. La reprise de Kidal en novembre 2023 a été une victoire symbolique majeure. Bamako pourrait vouloir continuer les combats. Si tel est le cas, la meilleure stratégie pour engager les responsables gouvernementaux serait de vanter la force du Mali.
Ghazouani devrait se rendre personnellement à Bamako pour rencontrer le président par intérim, le colonel Assimi Goïta. Ghazouani et Goïta sont tous deux des commandants militaires qui ont participé à des coups d'État dans leurs pays respectifs. Ghazouani est l'aîné des deux, et il a réussi la transition de chef militaire à chef civil. Il peut conseiller Goïta.
Ghazouani peut louer le leadership de Goïta et faire valoir que le dirigeant malien a joué un rôle décisif pour amener les dirigeants du CSP-DPA et du JNIM à la table des négociations. Il devrait également souligner les avantages d’une participation à des pourparlers multipartites. La résolution du conflit dans le nord permettrait aux FAMa et à Wagner de changer de cap et de consacrer davantage de troupes à la campagne antiterroriste contre le MLF dans le centre du Mali. Le MLF a récemment lancé une attaque meurtrière contre des installations militaires à Bamako. Dans ce contexte, Goïta pourrait être réceptif à cet argument.
Après avoir obtenu le consentement de Goïta, la Mauritanie devrait chercher le soutien de la communauté internationale et commencer à planifier le premier cycle de négociations à Nouakchott. Ghazouani peut capitaliser sur sa position de président de l’UA pour former un groupe de contact pour le nord du Mali. Ce groupe de contact aiderait à coordonner, financer et exécuter la programmation en faveur des résultats négociés des pourparlers multipartites.
Il est très important que le groupe équilibre les différentes perspectives et alliances internationales. La junte militaire malienne a remplacé les partenaires occidentaux du pays en matière de sécurité par Wagner, et Bamako s'opposerait à ce que le groupe comprenne un nombre disproportionné d'États occidentaux. Les premiers efforts de Ghazouani devraient se concentrer sur les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU (CSNU). Deux d'entre eux ne font pas partie de l'Occident et tous sont impliqués dans des initiatives régionales.
La neutralité de la Mauritanie lui permet d'entretenir des relations positives avec tous les membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU. Elle est donc bien armée pour gérer les tensions entre eux. Elle doit souligner que les membres permanents ont un intérêt commun : améliorer la stabilité. Cela n'est possible qu'à condition qu'ils collaborent.
En Afrique du Nord et de l’Ouest, Ghazouani devrait concentrer ses efforts sur le recrutement d’anciens membres du Comité de suivi de l’accord d’Alger : l’Algérie, le Burkina Faso, le Tchad, le Niger et la Mauritanie. Le Maroc devrait également être inclus, pour éviter de bouleverser l’équilibre des pouvoirs régionaux. Ces six États ont tous intérêt à ce que le nord du Mali soit pacifique et sécurisé.
Une fois le Groupe de contact du Nord-Mali établi, Ghazouani et l'UA devraient se concentrer sur la coordination, le financement et l'exécution des programmes parallèlement aux pourparlers multipartites. Les parties au conflit sont extrêmement sensibles aux ingérences extérieures. Le Groupe de contact du Nord-Mali doit garder les objectifs des parties au centre de ce processus de délibération.
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