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Renforcer l’autonomie de l’Afrique dans un contexte de concurrence géopolitique

par Abdoul KH.D. Dieng - 01 Oct 2024 -
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L’importance stratégique de l’Afrique suscite depuis longtemps l’intérêt des puissances mondiales et connaît un regain d’intérêt ces dernières années. L’implication de puissances mondiales comme les États-Unis, la Chine, la Russie et les pays européens apporte des opportunités et des défis aux États africains. Cet article explore la manière dont ces engagements se déroulent, les complexités qu’ils introduisent et ce qui peut être fait pour renforcer l’action africaine à l’échelle mondiale.


Au cours des deux dernières décennies, la Chine est passée du statut d’acteur marginal en Afrique à celui d’acteur central, malgré une baisse récente des investissements et des prêts. L’initiative « Belt & Road » de la Chine a considérablement accru sa présence sur le continent grâce à de vastes projets d’infrastructures, à des relations commerciales et à des investissements stratégiques. En témoigne la croissance des échanges commerciaux, qui sont passés de 11,67 milliards de dollars en 2000 à 257,67 milliards de dollars en 2022, ce qui en fait le plus grand partenaire commercial bilatéral du continent.


Les États-Unis, confrontés à des difficultés pour maintenir leur influence dans des régions comme l’Afrique de l’Ouest, ont érodé leur position en raison de relations fracturées et de faux pas politiques, notamment de la part de leur allié français mais aussi d’autres pays. Ces faux pas ont créé des lacunes sécuritaires et économiques qui ont ouvert des ouvertures que la Russie et la Chine ont pu combler, apportant de nouvelles approches et de nouveaux discours. Le récent réengagement de la Russie avec l’Afrique, par exemple, a commencé à partir d’une base basse après une période de distanciation significative dans les années 1990 et 2000 et elle se voit tenter de renforcer son influence principalement par le biais d’accords de sécurité et de liens politiques.


De nombreux pays africains ne considèrent plus que les outils traditionnels d’aide publique au développement occidentaux suffisent ; ils souhaitent davantage d’investissements et des partenariats équitables. Les négociations en cours pour prolonger jusqu’en 2041 la loi américaine sur la croissance et les opportunités en Afrique, qui accorde des concessions commerciales à l’Afrique, ont une dimension géopolitique évidente.


Les pays africains cherchent à diversifier leurs relations internationales, dans le but de réduire leur dépendance vis-à-vis des puissances mondiales traditionnelles, tout en évitant prudemment de devenir des pions dans des conflits géopolitiques plus importants. Cette volonté de diversification se manifeste dans les relations de l'Afrique avec la Chine, la Russie et d'autres acteurs internationaux, passant d'un commerce dominé par l'Occident à un paysage économique plus diversifié à l'échelle mondiale.


Le contexte historique des luttes de pouvoir de la guerre froide, qui ont eu des conséquences dévastatrices dans les pays du Sud, a conduit les États africains à hésiter à s’aligner trop étroitement sur un bloc de puissance particulier. Aujourd’hui, les pays africains se méfient de répéter ces erreurs historiques. Les conflits de Gaza et d’Ukraine ont souligné les risques d’être entraînés dans des compétitions mondiales qui ne correspondent pas toujours aux intérêts africains. La pression exercée pour prendre parti après l’invasion ukrainienne et la réponse limitée des pays occidentaux au conflit de Gaza soulignent la nécessité pour les pays africains de maintenir leur autonomie et leur flexibilité dans leurs positions internationales.


Pour les pays du Sud, et notamment pour l’Afrique, le non-alignement n’est pas une question de neutralité, mais de préservation de l’autonomie et des options dans un ordre mondial fragmenté. Cette approche permet des interactions diversifiées avec le Nord, l’Est et le Sud, ce qui accroît l’influence et permet de conserver une voix forte dans les affaires internationales. Le désir de nombreux pays de rejoindre des groupes comme les BRICS est motivé par la nécessité de conserver ces choix plutôt que par une position intrinsèquement anti-occidentale. L’ordre mondial fragmenté met de plus en plus en évidence la nature transactionnelle des relations internationales, reflétant le paysage géopolitique actuel plus qu’un quelconque cynisme à l’égard des valeurs.


Pour reconstruire leurs relations, les puissances mondiales doivent nouer des partenariats axés sur des défis communs tels que le développement économique, la coopération en matière de sécurité, le changement climatique et la santé publique. L’histoire de l’Afrique, qui a été utilisée comme intermédiaire dans les conflits mondiaux, a suscité la méfiance et le malaise face aux discours renforçant ce rôle. La stratégie américaine pour l’Afrique, qui fait souvent référence à la Chine et à la Russie, doit s’orienter vers la création de véritables partenariats et investissements.


Pour regagner de l’influence en Afrique, les puissances mondiales doivent aborder le continent en fonction de ses propres mérites plutôt que de s’opposer les unes aux autres. Les États-Unis et les autres pays occidentaux sont confrontés à un défi de taille pour regagner de l’influence en Afrique, principalement lié à un déficit de confiance. Ce manque de confiance résulte d’une approche historique qui considère l’Afrique principalement comme un champ de bataille pour contrer des pays comme la Chine et la Russie. Cela implique de reconnaître les défis et les opportunités uniques de l’Afrique et de s’engager avec les pays africains comme des partenaires plutôt que comme des pions. 


L’engagement des puissances mondiales envers l’Afrique exige un équilibre délicat entre intérêts et autonomie. En comprenant et en gérant ces relations, les pays africains peuvent renforcer leur influence sur la scène internationale. Ils doivent repenser leurs stratégies, en dépassant le cadre simpliste de la concurrence géopolitique. Ce n’est qu’à travers une telle approche qu’un engagement plus équilibré et durable avec l’Afrique pourra être réalisé, au bénéfice de toutes les parties concernées.


L’initiative du corridor de Lobito, qui relie la côte atlantique angolaise aux zones minières de la République démocratique du Congo et de la Zambie, est un parfait exemple de la manière dont la concurrence mondiale peut être équilibrée pour le bénéfice de tous. Initialement développé par les États-Unis et attirant ensuite d’autres investissements chinois complémentaires, ce projet démontre que les développements régionaux peuvent générer des avantages tangibles pour le continent sans nécessairement devenir une proposition de type « tout ou rien ».


Cette approche met en évidence la manière dont les pays africains peuvent attirer des investissements qui servent leurs intérêts tout en naviguant dans des dynamiques géopolitiques complexes. Alors que les pays africains cherchent de plus en plus à tirer parti d’intérêts concurrents à leur avantage, ils remodèlent le paysage de l’engagement international et du développement sur le continent.


Pour les pays africains, la quête de l’autonomie ne consiste pas seulement à éviter l’alignement, mais aussi à tirer parti de leurs relations de manière stratégique pour maximiser les bénéfices et minimiser les risques. Cette approche permet des engagements internationaux plus diversifiés et plus résilients, permettant aux États africains de naviguer plus efficacement dans les complexités de l’ordre mondial.


Plusieurs mesures concrètes peuvent être prises pour renforcer la capacité d’action de l’Afrique dans le contexte de la concurrence mondiale. Tout d’abord, les pays africains devraient donner la priorité au renforcement de la capacité des organismes régionaux comme l’UA à piloter les relations du continent avec les puissances internationales. Ainsi, l’UA devrait jouer un rôle central dans les négociations sur son développement dans le cadre des multiples sommets entre pays africains, comme le Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), le Sommet des dirigeants États-Unis-Afrique et le Sommet Russie-Afrique. Lorsque les puissances internationales s’engagent de manière bilatérale avec des pays africains individuels plutôt qu’avec un bloc africain unifié, cela réduit la capacité d’action collective de l’Afrique. En présentant un front uni par le biais d’institutions comme l’UA, les nations africaines peuvent mieux exploiter leur pouvoir de négociation collectif et s’assurer que les initiatives de développement s’alignent sur les intérêts panafricains.


Deuxièmement, les pays africains doivent s’efforcer de diversifier leurs partenariats internationaux, en s’engageant auprès d’un éventail de puissances mondiales afin d’éviter une dépendance excessive à l’égard d’un acteur unique. Ce faisant, ils doivent faire pression pour que les principes d’engagement garantissent des avantages tangibles pour les pays. Il ne s’agit pas simplement de monter les puissances mondiales les unes contre les autres ; il s’agit de définir des critères clairs sur la manière dont les relations avec les puissances extérieures (quelles qu’elles soient) doivent s’engager avec le continent. Enfin, la principale source de levier de l’Afrique sera le développement et la croissance économique. Par conséquent, des processus tels que le renforcement de la complémentarité entre les pays africains, par exemple par le biais de la Zone de libre-échange continentale africaine, sont essentiels pour renforcer les capacités, la voix et la portée du continent.


Pour les puissances mondiales, cela signifie qu’elles doivent s’orienter vers des partenariats moins condescendants, qui respectent et répondent aux intérêts et aux besoins de l’Afrique. Elles doivent cesser de considérer l’Afrique uniquement sous l’angle de la concurrence entre grandes puissances et se concentrer plutôt sur la construction de partenariats mutuellement bénéfiques. Leurs investissements en Afrique doivent privilégier le développement durable à long terme plutôt que l’extraction de ressources à court terme. Une telle approche ne peut que permettre de créer un système international plus équitable et plus durable, garantissant que l’Afrique ne soit pas seulement un champ de bataille pour la concurrence mondiale, mais un acteur proactif dans la construction de son destin.

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