Depuis plusieurs jours, une nouvelle escalade militaire oppose Israël et la Syrie sur fond de tensions communautaires dans la région sud du pays, notamment dans le gouvernorat de Soueïda, peuplé en majorité de Druzes. Officiellement, Israël affirme agir pour protéger cette minorité, présentée comme menacée par l’armée syrienne et ses milices alliées. Mais derrière cette justification humanitaire se cachent des calculs géopolitiques plus larges, dans un contexte régional déjà extrêmement instable, notamment après les événements récents à Gaza et la montée des tensions avec l’Iran.
Les affrontements dans la région de Soueïda ont débuté avec des violences intercommunautaires entre tribus locales, rapidement dégénérées en conflit armé. Alors que le gouvernement syrien cherchait à reprendre le contrôle et à déployer des troupes dans la zone, Israël a lancé une série de frappes aériennes sur des cibles à Damas et dans le sud syrien, affirmant vouloir empêcher un potentiel massacre de Druzes. Cette prise de position brutale, relayée par le gouvernement israélien comme une "ligne rouge" infranchissable, marque un tournant majeur dans la stratégie régionale d’Israël.
La réalité sur le terrain est bien plus complexe. Si la situation des Druzes de Syrie est effectivement préoccupante, notamment dans un contexte d’effondrement de l’État central et de tensions avec des groupes islamistes ou mafieux locaux, leur instrumentalisation par Israël provoque l’inquiétude. De nombreux représentants druzes en Syrie et au Liban ont dénoncé une tentative de division et de manipulation, rappelant leur refus historique d’être utilisés comme justification pour des interventions étrangères.
Israël, en multipliant les frappes, semble vouloir empêcher toute consolidation du pouvoir syrien au sud du pays, préférant maintenir une zone tampon déstabilisée à sa frontière. Cette stratégie, déjà observée par le passé sur le plateau du Golan ou vis‑à‑vis du Hezbollah au Liban, s’inscrit dans une doctrine de sécurité préventive poussée à l’extrême, où toute avancée de l’État syrien ou de ses alliés est perçue comme une menace existentielle. Mais cette approche provoque de vives critiques à l’international.
Plusieurs puissances régionales et internationales ont exprimé leur opposition à ces frappes, les qualifiant d’atteinte à la souveraineté syrienne et de facteur aggravant d’un conflit déjà meurtrier. Des voix s’élèvent aussi au sein même de la société israélienne, notamment parmi les Druzes citoyens d’Israël, partagés entre leur solidarité communautaire et leur attachement à l’intégrité territoriale syrienne. La mobilisation à la frontière et les tensions internes en Israël laissent craindre un embrasement plus large.
Du côté syrien, le pouvoir en place, bien que fragilisé, réagit avec prudence. Le président par intérim tente de maintenir l’unité nationale en dialoguant avec les leaders druzes tout en accusant Israël de chercher à exploiter les divisions internes. La perspective d’une nouvelle fragmentation du pays alimente la peur d’un retour à une guerre civile généralisée, au moment même où un fragile équilibre semblait se reconstruire après plus d’une décennie de chaos.
L’un des risques majeurs est désormais la réaction des autres acteurs de la région. L’Iran, allié du régime syrien, pourrait répliquer indirectement via des milices présentes en Syrie ou au Liban. Le Hezbollah, bien que silencieux pour l’instant, surveille attentivement les événements. Une riposte de sa part ouvrirait un nouveau front au nord d’Israël, avec des conséquences potentiellement dévastatrices. De leur côté, les pays arabes tentent de calmer les tensions par la voie diplomatique, mais leurs efforts sont freinés par le manque de coordination et les rivalités internes.
À moyen terme, l’intervention israélienne pourrait paradoxalement affaiblir la position d’Israël dans la région. Si elle accentue son image de puissance dominante, elle nourrit aussi un ressentiment croissant au sein des populations arabes, y compris dans les pays ayant récemment normalisé leurs relations avec Tel-Aviv. Le recours à la force au nom de la protection des minorités peut apparaître comme une ingérence néocoloniale, rappelant les précédents tragiques d’interventions étrangères motivées par des objectifs humanitaires masqués.
En interne, le gouvernement israélien semble aussi chercher à détourner l’attention de la population des conséquences du conflit prolongé à Gaza, des tensions politiques persistantes et de la montée des divisions sociales. L’ennemi extérieur est un levier classique pour renforcer l’unité nationale et légitimer une politique sécuritaire musclée. Mais cette stratégie comporte un coût élevé, tant humain que diplomatique.
Ce nouveau cycle de violence marque un tournant dans la reconfiguration du Proche-Orient. La question druze, jusqu’ici marginale dans les grandes équations géopolitiques, devient le point d’ancrage d’un bras de fer entre Israël et la Syrie, dans lequel les civils sont les premières victimes. Loin d’apporter la sécurité ou la protection promise, cette intervention risque d’ouvrir une nouvelle période d’instabilité, dont personne ne peut prédire l’issue. Seule une médiation régionale et internationale sérieuse, fondée sur le respect de la souveraineté et des droits humains, pourrait encore éviter un embrasement général. Mais pour cela, il faudrait une volonté politique largement absente du paysage actuel.
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