Depuis que la trêve a été rompue, Gaza n’est plus qu’un immense champ de ruines, un désert d’impuissance, un territoire martyr qui n’a plus même le luxe de pleurer ses morts. Les bombes tombent avec une régularité mécanique, comme si l’on cherchait à effacer jusqu’au souvenir d’une existence humaine. Ce qui se passe là-bas dépasse les mots, dépasse même les images que les réseaux sociaux essaient tant bien que mal de faire passer au-delà des censures. Gaza n’est plus seulement une ville ou un territoire, c’est devenu un symbole criant de l’inhumanité que notre époque tolère, parfois même encourage, dans une hypocrisie globale assourdissante.
Quand Israël a mis fin à la dernière trêve en date, le frêle espoir que des familles retrouvent quelques jours de paix s’est évaporé. Les frappes ont repris, plus denses, plus intenses, plus méthodiques. Les civils, comme toujours, en paient le prix. Des enfants ensevelis sous les décombres, des hôpitaux ciblés ou laissés sans électricité, des écoles transformées en abris de fortune visées à leur tour. Ce n’est plus une opération militaire, c’est une opération de désespoir. Et ce qui sidère, ce qui glace le sang, ce n’est pas seulement la violence elle-même aussi insupportable soit-elle mais le silence, l’inaction, l’abandon presque total de la communauté internationale.
Les pays arabes, autrefois fers de lance d’un soutien inconditionnel à la cause palestinienne, semblent aujourd’hui paralysés, pris dans leurs contradictions, embourbés dans leurs intérêts économiques, diplomatiques ou sécuritaires. Certains se contentent de déclarations molles, d’appels à « l’apaisement », alors que des familles entières sont exterminées. D’autres ont carrément tourné la page, signant des accords avec Israël et considérant le problème palestinien comme un dossier du passé. Mais ce passé continue d’agoniser sous nos yeux, dans une actualité quotidienne faite de cris, de poussière, et de sang.
Ce n’est pas une guerre. Une guerre implique une certaine symétrie. Ici, il n’y a pas deux armées. Il y a une population prise en otage, sans abri, sans eau, sans accès aux soins, qui meurt dans l’indifférence. Et il y a une puissance militaire, soutenue par les plus grandes nations du monde, qui impose une logique de punition collective avec une froideur technocratique. On ne peut même plus parler de représailles, tant la disproportion est abyssale. C’est une politique d’effacement, d’écrasement total, qui vise à briser la résilience d’un peuple en anéantissant son avenir.
Et pendant ce temps-là, les grandes puissances observent, condamnent mollement, publient des communiqués, puis détournent le regard. Le Conseil de sécurité de l’ONU, comme à chaque fois, reste paralysé par des vétos prévisibles. L’Union européenne, embourbée dans ses contradictions morales, reste divisée, tiraillée entre le poids de son histoire et ses alliances stratégiques. Les États-Unis, quant à eux, maintiennent leur soutien inconditionnel à Israël, en armement comme en discours. Et les peuples ? Les peuples crient, manifestent, boycottent parfois, prient souvent, mais rien ne semble suffisant pour freiner l’engrenage.
Dans ce tumulte, la voix des Palestiniens est étouffée. Et pourtant, même dans les ruines, ils parlent encore. Ils racontent la survie, le manque d’eau, le froid, la faim, la peur. Ils parlent de leurs oliviers qu’ils ne peuvent plus cultiver, de leurs champs devenus cratères, de leurs abeilles mortes sous les bombes. Parce qu’au-delà de l’aspect humanitaire ou géopolitique, il y a aussi un autre drame : celui de la terre. Gaza, c’est aussi une terre de cultivateurs, de pêcheurs, de femmes et d’hommes attachés à leur environnement, à leur patrimoine, à leur sol nourricier. Et cette terre, elle aussi, est détruite.
Les serres sont pulvérisées. Les cultures brûlées. L’eau, contaminée. Les animaux, errants ou morts. Même ce lien primaire, fondamental, entre l’homme et son sol, est brisé. En tant que passionnés de géoponique, nous savons ce que cela signifie : on ne tue pas seulement les hommes, on tue aussi leur mémoire, leur autonomie, leur possibilité de renaître. Une terre qui ne nourrit plus devient un désert d’exil. Et ce qui se joue à Gaza n’est pas seulement une crise humanitaire, c’est une crise écologique, une crise agricole, une crise de civilisation.
Dans ce silence, dans cette défaillance générale, que reste-t-il ? Il reste la voix des peuples. La tienne, la mienne, celle des personnes qui refusent d’accepter l’inacceptable. Il ne suffit plus d’être choqué. Il faut parler. Il faut relayer. Il faut dénoncer. Il faut porter la mémoire de ceux qui tombent et défendre le droit de ceux qui vivent à le faire dans la dignité. Ce n’est pas un conflit comme les autres. C’est le miroir de notre époque. De notre capacité à détourner le regard ou à se lever. De notre humanité.
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